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Une journée qui a changé ma vie

Une journée qui a changé ma vie

« Ici le Dr Younan. C’est un cancer du sein, très agressif. » Victoria, alors enceinte de 18 semaines, est sous le choc.

C’est l’hiver. Le froid fait craquer la neige à l’extérieur du restaurant où Victoria Cristofaro, 31 ans, partage un repas avec une copine. Elles parlent de tout et de rien en ce jour de début février 2020. Du travail, des prochaines vacances, du chalet. De cette bosse au sein droit pour laquelle Victoria a dû faire des examens, dont elle attend les résultats. D’Arthur, son premier enfant, qu’elle porte depuis 18 semaines. Bref, une conversation de jeunes trentenaires dynamiques.

Une sonnerie interrompt la conversation. C’est le Dr Rami Younan, chirurgien oncologue au CHUM. Étant donné l’urgence de la situation, il n’a pas attendu le prochain rendez-vous pour lui parler. Il va droit au but : cancer du sein agressif. Triple négatif, en plus : il répondra moins bien aux traitements et risque de se répandre par la circulation sanguine. Chimio, radio, mastectomie sans doute. Ça presse!

Tout risquer pour son enfant

L’appel du Dr Younan n’a duré qu’une minute environ. Mais ses derniers mots stupéfient Victoria : « Il va falloir qu’on se parle de votre grossesse ». Le type de chimiothérapie qui peut la sauver comporte des risques pour Arthur tant qu’il n’aura pas atteint ses 22 semaines. Sera-t-il possible d’attendre si longtemps, alors que le mal ronge la poitrine de Victoria à toute vitesse?

« Ces mots-là m’ont frappée plus fort que l’annonce du cancer », se rappelle Victoria. « Je me suis dit qu’Arthur ne verrait peut-être pas le jour. » Ébranlée, mais presque impassible, Victoria donne sa carte de crédit à sa copine pour qu’elle acquitte la facture. Se rend dans sa voiture, d’où elle appelle sa mère, qui a elle-même vécu un cancer du sein à l’âge de 47 ans. Aux premiers mots de sa mère, elle éclate en sanglots. Crie son désespoir. Mais la voix maternelle réussit à la calmer rapidement. La guérison est possible, il faut faire confiance aux médecins.

À la maison, son conjoint l’attend. Aujourd’hui, comme chaque jour qui suivra, il sera à ses côtés pour la réconforter et l’aider. Il sera tellement présent que Victoria aura parfois l’impression qu’il combat lui aussi un cancer. Ils pleurent ensemble. Elle se sent coupable d’avoir manqué d’assiduité pour ses suivis visant à s’assurer qu’elle ne développerait pas, comme sa mère, un cancer. Il la rassure : qui peut imaginer avoir un cancer aussi jeune?

Puis le jeune couple se retrousse les manches. On va y arriver. Et on va vivre notre vie malgré les épreuves. Victoria, quant à elle, décide de tout faire pour garder son bébé. Elle verra à commencer sa chimiothérapie aussi tard que possible, au risque de sa propre vie.

J’ai pleuré, j’ai crié. Je ne voulais pas mourir, je ne voulais pas perdre mon bébé. Il avait déjà un nom : Arthur. — Victoria Cristofaro.

Surfer sur la vague, tel est le secret

Victoria décide de faire un pied de nez à la maladie – et à la pandémie de COVID-19, qui commence presque en même temps que ses traitements de chimiothérapie. Elle décide de surfer sur la vague et de ne pas vivre comme une personne malade. Une ménopause temporaire causée par ses traitements lui donne ce qu’elle appelle un « caractère de chihuahua »… Mais malgré cela, Victoria choisit en toute conscience d’être « gentille et agréable avec le personnel soignant » et son entourage.

Presque étrangement, la pandémie lui évite du stress. « Sans la COVID, j’aurais été isolée, tel un chien en cage, à cause de l’immunodéficience causée par la chimiothérapie. Alors qu’au printemps 2020, j’étais confinée comme tout le monde, mais avec mes proches. » Elle vit dans une maison intergénérationnelle avec son père, qui veille sur sa fille comme si sa propre vie en dépendait. Se rendre au CHUM pour des traitements est pour Victoria une occasion de voir du monde. « Le CHUM, c’est ma deuxième maison. On n’y retrouve pas cette ancienne odeur des anciens hôpitaux; c’est coloré, propre, zen. » Un moniteur marque les battements de cœur d’Arthur pendant les traitements, ce qui anime un peu les autres patients.

Malgré quelques effets secondaires, elle essaie de vivre normalement. « Si tu agis comme si ça faisait partie de ta vie, tes journées vont être beaucoup plus faciles ». Il faut s’accepter, dit-elle, se dire que tu es belle même si tu as grossi, même si ne peux pas manger ce qui te tenterait normalement. Se dire que les jolies boucles frisées reviendront sur ce crâne qui est maintenant dégarni.

La vie continue et il faut vivre, peu importe le pronostic. Il ne s’agit pas de nier la présence du cancer, mais de s’en faire un ami, plutôt qu’un ennemi. — Victoria Cristofaro.

« Ma grossesse m’a sauvée »

Arthur poursuit sa croissance jusqu’à la mi-mai, comme s’il savait à quel point c’est important pour sa maman. Cela donne le temps aux médecins d’administrer deux traitements additionnels à Victoria. Puis, fin mai, elle est hospitalisée d’urgence, avec une fièvre qui perdure. On craint le coronavirus, mais il s’agit d’une infection aux poumons, un effet secondaire des traitements. On décide de la garder jusqu’à la naissance très prochaine d’Arthur.

À sa naissance par césarienne, deux jours plus tard, Arthur est vite emporté à l’unité de néonatalité – il est né après 7 mois de gestation. Quand on le ramène à la chambre, convertie en unité familiale pour les trois semaines qui suivront, Victoria éprouve un immense soulagement. Elle sent instinctivement que ce petit être jouera un rôle important dans la suite de son parcours de soin.

Grâce à mon obstétricienne, la Dre Claude-Émilie Jacob, et à mon chirurgien oncologue, le Dr Rami Younan, j’ai pu vivre cette expérience en famille, malgré la pandémie. J’étais plus qu’une patiente : je me suis sentie importante. — Victoria Cristofaro.

Le 16 juin, Victoria subit une mastectomie totale du sein droit, après 6 traitements de chimiothérapie. Les tests démontrent que le cancer (une masse de 13 cm et des ganglions atteints) a été entièrement éliminé. Elle fera quand même 12 autres traitements de chimiothérapie et 25 traitements de radiothérapie afin de mettre toutes les chances de son côté.

Pour Victoria, aucun doute : c’est grâce à Arthur qu’elle a pu s’en tirer. « Il était ma force, et il l’est encore, avec son petit sourire, à me dire que je n’ai pas le droit de le laisser tomber. »

Une force à partager

Victoria montre une photo prise après que les bandages ont été enlevés de sa poitrine. Sa tête sans cheveux est penchée vers celle d’Arthur. Sa poitrine, dénudée, montre une cicatrice dont elle n’a aucune honte. « Pour moi, c’est comme si mes seins ne m’appartenaient pas. C’est important de montrer ma poitrine aux gens, pour qu’ils sachent à quoi ça ressemble! »

Le Dr Joseph Bou-Merhi, chirurgien plasticien qui reconstruira son sein, est impressionné par la force que Victoria dégage. « L’histoire de Victoria, explique-t-il, est une histoire de résilience et d’espoir dans la vie pour chacune de nos jeunes patientes en âge de procréation atteintes du cancer du sein. » Il l’enjoint à témoigner de son parcours lors de l’édition 2020 de la soirée BRAVOURE, un événement du CHUM consacré aux avancées de la science en matière de cancer du sein et aux options de reconstruction mammaires offertes. En fondant en larmes au premier souvenir d’Arthur dans ses bras, elle conquit l’assistance.

Ce ne sera pas la dernière fois que Victoria partage son expérience. Elle a tourné une vidéo promotionnelle pour l’événement BRAVOURE 2021, quelques jours avant sa reconstruction mammaire. Elle accompagne des femmes la contactant par Internet et deviendra sous peu patiente partenaire au CHUM. « Si je peux faire une différence, dit-elle, ça fera un gros check sur ma liste ». On ne s’étonne pas d’entendre le Dr Younan dire de la jeune patiente : « Victoria ne porte pas son nom pour rien. Elle y va de victoire en victoire! Toujours vers l’avant pour nos patientes… »

Une vie changée

Il arrive encore à Victoria de se souvenir de l’annonce du diagnostic qui a bouleversé sa vie. Mais, dit-elle avec une gravité propre aux sages, le cancer a formé la personne qu’elle est devenue. « Je n’ai plus les mêmes objectifs, je suis plus rationnelle, moins axée sur la carrière, et je profite plus de la vie. » L’expérience lui a aussi démontré que le Dr Bou-Merhi avait raison : elle possède une force et une énergie hors du commun.

Cette force faiblit pendant un bref instant, lorsqu’elle se met à énumérer les personnes qui l’ont soutenue. Son conjoint. Ses parents. Son fils. Les soignants, qui sont pour elle une véritable famille sans qu’ils s’en rendent compte. La voix de Victoria se brise, enfin, en mentionnant le Dr Bou-Merhi. « Il a été un grand ami dans tout ça, un médecin impliqué, que je n’ai pas eu le temps de remercier pour tout ce qu’il fait pour moi, pour les femmes ».

BRAVOURE, pour s’informer sur les options de traitement du cancer du sein

Vous avez un cancer du sein? Peu importe où vous en êtes dans votre parcours en cancer du sein, l’événement annuel BRAVOURE est pour vous. Au menu : avancées dans les traitements, présentation de cas cliniques et témoignages. Revoyez l’édition 2021, présentée sur notre page Facebook, découvrez les plus belles photos de la même édition, ou revoyez l’édition 2020.

Victoria Cristofaro, lors de son témoignage à l’événement BRAVOURE en 2020.
Victoria Cristofaro, lors de son témoignage à l’événement BRAVOURE en 2020.