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Sortir de sa zone de confort en pleine pandémie

Elle est agente administrative en gestion documentaire, et travaille dans un bureau à l’extérieur des pavillons principaux du CHUM. Lui est spécialiste en activités cliniques, un poste en soutien aux différents services de la Direction des services multidisciplinaires DSM) pour l’amélioration de la pratique, et président du conseil multidisciplinaire* du CHUM. Les deux ont pourtant choisi, en pleine pandémie, de sortir de leur zone de confort et de devenir, respectivement, aide de service à l’urgence et préposé aux bénéficiaires à l’Hôtel-Dieu! Qu’est-ce qui a motivé Johanne Cristiano et Gabriel Seyer à se lancer dans l’aventure? Qu’y ont-ils découvert? Qu’en ont-ils retenu?

En action pour répondre aux besoins

Gabriel Seyer revient d’un congé de maladie – à cause d’une vilaine chute sur la glace – alors que la crise sanitaire bat son plein, à la fin de mars. Il joint aussitôt l’équipe SWAT, un projet de la Direction générale visant à répondre aux questions et préoccupations des unités de soins et des  services. Puis, souhaitant se rapprocher des patients, il se porte volontaire pour prêter main-forte au 6e étage du pavillon De Bullion, à l’Hôtel-Dieu. Il y accomplira, pendant quelques mois, les tâches d’un préposé aux bénéficiaires, sur le quart de soir. « Dans la période que l’on traversait, explique-t-il, c’était important pour moi de placer mes priorités au bon endroit – et en temps de pandémie, plus que jamais, ma priorité, c’était les patients ».

Johanne Cristiano, quant à elle, ressent le besoin de se rapprocher des gens, d’aller dans le feu de l’action. « Si je n’avais pas travaillé à l’hôpital, je n’aurais pas pu rester à la maison, raconte-t-elle, j’aurais offert mes services quelque part ». Fin mars, elle quitte le calme de son bureau à la gestion documentaire pour aller rappeler l’importance de se laver les mains à l’urgence, qu’elle découvre avec émerveillement. Derrière son masque, un sourire rassurant transparaît et appelle aux confidences les équipes de soin, fatiguées, stressées par le contexte. Danièle Bourque, intervenante en soins spirituels, dont le bureau est voisin de l’urgence, parle d’ailleurs de Johanne comme d’un « véritable rayon de soleil pour les gens ». De fil en aiguille, Johanne se met aussi à aider les préposés aux bénéficiaires avec diverses tâches, contribuant ainsi à alléger leur charge de travail.

Tout le monde est important!

Sortir de sa zone de confort et jouer un autre rôle a permis autant à Johanne qu’à Gabriel de réaliser à quel point chaque personne est un maillon essentiel dans la chaîne des soins et services aux patients. « Chacun a un rôle très important, souligne Gabriel. L’investissement des préposés aux bénéficiaires auprès des patients est encore plus soutenu que je ne l’aurais pensé, ils sont souvent les yeux du médecin et de l’infirmière ». Et Johanne de renchérir : « Je savais que les préposés en faisaient beaucoup, mais ça m’a montré leur importance encore plus; les gens qui font le ménage aussi, et les gens au dépistage, au transport des patients, tout ce monde travaille en équipe ».

Devrait-on, alors, passer un peu de temps avec des patients quand notre poste nous amène à travailler loin d’eux, physiquement? Nos deux interviewés croient que oui. Pour Johanne, sortir de sa zone de confort permet de voir des facettes de l’hôpital qu’on connaît moins. Se mettre dans la peau d’une autre personne, voir le cœur d’une unité de soins, amène, selon Gabriel, une meilleure compréhension de notre environnement et, à terme, une plus grande collaboration entre les personnes – un thème qui lui est cher.

Quand côtoyer le malheur fait réfléchir au sens de la vie

« J’ai vu la morgue venir chercher des patients », relate Johanne avec tristesse. Or, à cause des consignes de distanciation physique, les équipes ne peuvent plus se faire un câlin réconfortant quand elles perdent un patient. Elle souffre de voir des gens seuls, en attente d’un médecin ou d’une hospitalisation. « On ne peut pas ressortir de là et voir la vie de la même façon – la vie nous ramène à l’essentiel, à l’humain. »

Comme préposé aux bénéficiaires, Gabriel subvient aux besoins de base des patients – alimentation, hygiène corporelle, habillement. Il fait la connaissance de personnes en attente d’aide médicale à mourir. D’autres n’en peuvent plus d’être seuls, confinés, et pleurent leur misère et leur détresse. Avec leurs masques, raconte-t-il, les membres de l’équipe de soins étaient les seuls humains que les patients pouvaient rencontrer. Parfois, même, les uns et les autres ne pouvaient que s’entrevoir à distance, par la fenêtre intérieure. Pour lui, côtoyer de tels patients d’aussi près force à se raccrocher aux « vraies choses » et fait réaliser à quel point la vie ne tient qu’à un fil. Peut-être, croit-il, que l’approche de la quarantaine le fait réfléchir davantage à ce qui est important pour lui dans la vie…

« On ne peut pas ressortir de là et voir la vie de la même façon – la vie nous ramène à l’essentiel, à l’humain. » — Johanne Cristiano.

Une expérience enrichissante

La vague de la pandémie de COVID-19 est redescendue. Johanne et Gabriel sont retournés à leurs tâches habituelles, riches de nouvelles amitiés, de nouveaux apprentissages. Quand on leur demande quel mot pourrait décrire leur expérience, c’est avec un éclat de bonheur dans les yeux qu’ils répondent. Même dans un contexte difficile, ils ont trouvé quelque chose d’ultimement positif.

Pour Gabriel, le mot enrichissant dit tout. En tant que personne, explique-t-il, on s’enrichit lorsqu’on sort de sa zone de confort; combattre un objectif commun a aidé à renforcer les liens et la culture collaborative. Johanne est d’accord avec son collègue : « C’est enrichissant de donner du temps, de voir des gens heureux, et c’est gratifiant de voir tout ce qui se passe en soins aux patients. » Le mot cadeau, toutefois, représente le mieux son expérience. Changer de place, réaliser qu’il y a d’autres gens autour de soi et d’autres professions est, pour elle, un cadeau de la vie.

Ça ne change pas le monde, sauf que…

Ont-ils tellement aimé leur expérience qu’ils souhaiteraient changer de carrière? Gabriel y a réfléchi – ah, la fameuse quarantaine! – mais a choisi de rester dans son rôle de soutien aux équipes ayant une incidence sur les soins aux patients, sans pour autant offrir les soins comme tels.

Quant à Johanne, l’effervescence de l’urgence lui a rappelé qu’elle est essentiellement une personne d’action, qui désire se rapprocher des gens. Cinq mois après avoir mis les pieds à l’urgence, elle a décidé de faire le saut. Dès octobre, elle entreprendra un programme de travail-études au CHUM pour devenir préposée aux bénéficiaires.

Nous ne pouvons qu’être reconnaissants à Johanne, à Gabriel, ainsi qu’aux nombreux autres volontaires dont le dévouement a fait une différence pendant la crise sanitaire. Nul doute qu’ils ont ému les patients, leurs proches et les équipes du CHUM autant qu’ils ont pu l’être.

* Le Conseil multidisciplinaire (CM) a pour mandat d’émettre des recommandations sur la distribution appropriée des soins et des services dispensés par ses membres, en tenant compte des conditions d’exercices requises du CHUM, pour assurer des services de qualité dans tous ses regroupements-clientèles. Il veille également à constituer les comités de pairs nécessaires à l’appréciation et à l’amélioration de la qualité de la pratique professionnelle dans son ensemble.