Single post

Vaincre le mal en répandant le bien

Il y a des gens sympathiques qui, dès le premier regard, inspirent confiance. Qui, après quelques paroles, vous donnent l’impression d’être nés pour aider les autres. Thérèse Duval est de ces gens extraordinaires. Infirmière au CHUM, elle y est aussi, depuis 2017, une patiente de la clinique de la douleur. Dans son processus de récupération, elle parcourt les rues de Montréal, ramassant au passage cannettes et bouteilles qu’elle revend pour financer des projets qui lui tiennent à cœur.

Thérèse Duval est aguichanoise – un joli mot signifiant qu’elle vient de Saint-Roch-de-l’Achigan, dans Lanaudière. Fille d’agriculteurs, elle fait un baccalauréat en sciences et technologies des aliments, tout en rêvant du métier d’infirmière. Elle travaille quelque temps comme assistante de recherche, mais il manque quelque chose à son bonheur. « J’ai senti un appel à me donner totalement, dit-elle, et j’ai décidé de devenir religieuse ». Quand sa congrégation lui propose de faire ses études en sciences infirmières, elle accepte avec joie. « Le métier d’infirmière peut nous emmener au bout du monde! », dit-elle en se remémorant ses nombreuses missions au Congo et en Haïti, dont elle a appris la langue.

Au début des années 2000, l’infirmière troque la vie de religieuse pour la vie de laïque. Elle se joint au CHUM et travaille sur plusieurs unités, avant de trouver chaussure à son pied aux soins palliatifs. Elle y passera une douzaine d’années, jusqu’au moment où sa vie bascule dans un gouffre qui lui semblera, par moments, presque sans fond.

« La plus grande épreuve de ma vie »

En ce soir du 10 février 2017, un épais verglas couvre les moindres recoins de la ville. Thérèse Duval marche avec précaution. Mais le malheur guette et elle perd pied. Elle entend des os craquer. Heureusement, elle s’en sort avec un bras fracturé. Elle devrait s’en remettre rapidement, mais… « Je devais être de retour au travail deux mois plus tard, mais finalement, mon congé de maladie a duré 3 ans. » Sa fracture a déclenché une algodystrophie, une maladie rare du système central sympathique qui cause de fortes douleurs et qui peut être assez longue à diagnostiquer.

Quand elle est admise à la clinique de la douleur du CHUM, après plusieurs semaines de martyre, Thérèse Duval est au bout du rouleau. Son entourage ne la reconnaît plus : où donc est passée l’énergie de cette bourreau du travail? Elle est prise en charge par le Dr Jean Bourgouin, « un médecin extraordinaire qui m’a vue pleurer en masse, dit-elle, parce qu’à chaque visite je voulais retourner au travail, mais ce n’était pas possible. »

Pourtant, à force de volonté et avec le soutien de l’équipe de la clinique, Thérèse Duval remonte la pente. Au début, une forte médication contrôle sa douleur. Puis, elle l’apprivoise de mieux en mieux et on peut diminuer sa médication. Elle participe à différentes activités offertes par la clinique. Les ateliers de yoga lui font du bien. Elle se joint avec enthousiasme au projet de création chorégraphique participative En ces lieux, ils danseront, auquel collaborent le CHUM, la compagnie Ample Man Danse, la Fabrique culturelle et Télé-Québec. Elle renoue aussi avec la Chorale Chantevoix du CHUM, où elle avait été choriste avant sa mésaventure. « Et comme je suis croyante, ajoute-t-elle avec ferveur, la prière m’a aussi aidée à passer à travers cette épreuve. »

Un projet salvateur qui profite aussi aux autres…

« Je suis née pour travailler, insiste Thérèse Duval; il fallait donc que je trouve quelque chose pour m’occuper de façon utile. » Au printemps 2017, elle apprend qu’une nièce, enseignante, et ses élèves ramassent et revendent des contenants vides pour financer leur voyage de coopération internationale. Elle offre à sa nièce de l’aider, de son bras valide. Comme elle se rend à pied au CHUM pour ses fréquents rendez-vous, elle rentre souvent à la maison avec un sac plein de cannettes et de bouteilles.

« Je prenais soin des autres, je travaillais en soins palliatifs. Pour moi, c’était effrayant d’avoir cette épreuve-là dans ma vie. Et moi qui voulais travailler longtemps dans ma vie! Mais en même temps, j’ai trouvé un sens à ma vie en faisant cette activité-là. »

Ses promenades, qui s’allongent au fur et à mesure que son état s’améliore, lui font du bien. Elle est heureuse de donner un coup de pouce à l’environnement de sa ville d’adoption en valorisant des matériaux encore utiles. Elle finit par s’équiper d’un chariot et d’un traîneau pour transporter les contenants vides, été comme hiver. « Il ne faut pas que je fasse un voyage de paresseux », dit-elle en riant. En trois ans, elle réussit à amasser 5 000 $ au profit du voyage scolaire de sa nièce et de ses élèves. Toujours, tient-elle à le souligner, en ne faisant pas de dégâts et, depuis la pandémie de COVID-19, en portant des gants.

Thérèse Duval constate avec sérénité : « Ça a donné un sens à ma vie – en fait, pas un sens, mais un autre sens. Ça fait du bien à l’âme. » Au début, explique-t-elle, le Dr Bourgouin craint qu’elle se blesse ou fasse de mauvaises rencontres. Des amis lui disent de penser à elle, de garder l’argent. « Si, un jour, j’ai besoin d’argent, j’en ramasserai pour moi, des cannettes; mais pour l’instant, si je trouve 10 sous par terre, je le mets dans l’argent de mes cannettes! » Cet automne, elle a même ajouté, aux montants accumulés pour la clinique, les 20 $ qu’elle avait gagnés dans un tirage, au lieu de les garder pour elle.

Et puis, des rencontres désagréables, elle n’en a que deux à raconter – et encore, elle en parle avec le sourire. Un gérant d’épicerie, mécontent de la voir arriver avec ses gros sacs. Un habitant du quartier, qui ne comprend pas cette idée de récupérer les contenants… Les gens sont, en général, très gentils, répète-t-elle plusieurs fois. Cette conteuse née nous transporte volontiers dans son quotidien peuplé de gens bien intentionnés. Comme cet homme, qui lui a donné de l’argent pour une slush par une chaude journée d’été en la voyant avec ses sacs de cannettes. Après l’avoir entendue raconter sa démarche, il lui a plutôt offert 25 $! « Je fais beaucoup de belles rencontres, les gens me font confiance, et c’est avec des dollars qu’on fait des vingt dollars, des cent dollars… Je trouve ça le fun. »

Financer des projets de la clinique de la douleur

Toute cette démarche lui fait tellement de bien qu’elle choisit, en juin 2019, une nouvelle cause : des projets de la clinique de la douleur. « J’ai dit au Dr Bourgouin : je ne vous promets pas des millions… Mais il n’a pas dit non! »

En effet, la clinique de la douleur accepte des dons qui servent, entre autres choses, à financer des activités (yoga, peinture, groupe d’entraide, etc.), des traitements, ainsi que des projets innovateurs et de recherche qui auront des répercussions immédiates sur la qualité de vie des patients.

Au moment d’écrire ces lignes, Thérèse Duval avait remis 3 000 $ à la clinique, par l’entremise d’un don à la Fondation du CHUM. De quoi être fière! Pour le Dr Bourgouin, il s’agit d’une marque d’appréciation de sa patiente « envers notre équipe; appréciation qui s’est manifestée à chaque visite à notre clinique; et, plus particulièrement, c’est sa façon à elle de collecter des fonds qui nous permettent de proposer de nouveaux programmes de soutien aux patients. »

Un cauchemar qui finit bien

La détermination et l’engagement de Thérèse Duval auprès de l’équipe qui l’a prise en charge, explique le Dr Bourgouin, ont permis à sa patiente de vaincre un difficile syndrome douloureux. Elle a d’ailleurs réussi à réaliser son rêve de revenir travailler au CHUM, en février 2020, comme infirmière clinicienne au sein de l’équipe du COFR*. « Ça faisait trois ans que je n’avais pas travaillé. J’ai travaillé fort pour me mettre à jour sur l’utilisation d’un ordinateur. Mais je n’ai pas peur des défis! J’adore les équipes de jour, de soir et de nuit, qui m’ont accueillie à bras ouverts. » Alors qu’elle pensait s’ennuyer des soins palliatifs, elle trouve intéressant de pouvoir offrir son expérience à sa nouvelle unité et à des patients.

À pleines dents, Thérèse Duval mord de nouveau dans la vie. Une retraite à 65 ans? Oh que non : tant que ses services seront utiles, elle sera là pour les patients. Puis elle ira là où les besoins sont encore grands, comme à Haïti, même si, affirme-t-elle avec humilité, sa contribution n’est qu’une goutte d’eau dans un océan.

Il n’y a pas à dire, Thérèse est née pour aider les autres.

* Le COFR, ou Centre d’optimisation des flux réseau, vise à faciliter et à renforcer la coordination des soins et des services, les transferts interétablissements, l’accessibilité des services et le soutien, tant au patient et à ses proches qu’aux différents acteurs du réseau de la santé. Le rayon d’action du COFR est large et s’étend à tout le Québec par le biais de différentes stratégies, notamment le soutien à distance et la télésanté.

Thérèse Duval devant un de ses endroits préférés pour le dépôt de ses contenants.
— C’est combien de cannettes, ça, Thérèse? — Bah, je ne sais pas. Je sais juste que pendant la pandémie, à l’hiver 2020, mes balcons avant et arrière étaient pleins de cannettes écrasées, en attendant que les points de dépôt recommencent à les reprendre!