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COVID ou pas, l’humanité est au cœur des soins de fin de vie

Mars 2020. Le Québec se confine pour repousser autant que possible la pandémie de COVID-19 qui vient d’atteindre la province. Les visites sont interdites dans les centres hospitaliers, incluant le CHUM, sauf pour des raisons humanitaires. Dans les zones chaudes, où des patients sont soignés pour le coronavirus, les consignes sont strictes : aucune visite, même lors des soins de fin de vie.

En conséquence, aux soins intensifs du CHUM, des patients atteints de COVID meurent loin de leurs proches, sous le regard attristé des membres de l’équipe soignante. Ces derniers commencent à imaginer des soins de fin de vie laissant plus de place à la chaleur humaine malgré la pandémie. Et si, se disent-ils, on pouvait trouver un moyen sécuritaire de donner un accès aux proches pour les derniers moments de nos patients? Quelques semaines plus tard, l’équipe innove avec un nouveau protocole qui sera applaudi dans le réseau de la santé.

Accompagner le deuil

Selon la littérature scientifique, de 35 à 40 % des proches qui ne peuvent être présents lors de la fin de vie d’un être cher développent des troubles anxieux ou un syndrome de stress post-traumatique. Élaborer un protocole spécifique aux patients COVID était donc une priorité pour l’unité.

Gaëlle Vincent a été la première proche admise au chevet de sa mère, pour des soins de fin de vie, en pleine crise sanitaire. « Mourir de la COVID, c’est dramatique, mais mourir seul, c’est encore plus dramatique; c’est inhumain, peu importe la maladie. Il faut qu’il y ait des gestes comme celui-ci. » Le protocole est un de ces gestes qui peuvent faire toute la différence. Gaëlle Vincent croit en effet que sa présence, autorisée le matin même du décès, a apaisé sa mère dans ses derniers moments.

De patiente en rémission à patiente COVID

Sa mère, Sylvie Vincent, était une ethnologue et anthropologue renommée, encore active dans son domaine malgré l’approche de ses 79 ans. Fin février 2020, elle reçoit un diagnostic de cancer des os (myélome). Le pronostic est bon et elle commence ses traitements, qui fonctionnent si bien que son oncologue lui prédit plusieurs belles années de vie.

Or, le 9 avril, elle se sent si mal qu’elle ne tient plus debout. Sa fille l’emmène d’urgence à l’hôpital. Consignes sanitaires obligent, elle ne peut l’accompagner qu’à la porte de l’urgence du CHUM. « C’est la dernière fois que je l’ai vue, raconte Gaëlle Vincent; je l’ai laissée là, tel un petit moineau, dans un fauteuil roulant. » La COVID-19 avait réussi à se faufiler jusqu’à sa mère. Le lendemain, sa situation s’étant détériorée rapidement, on la met dans un coma artificiel et on l’intube. Suit une période remplie à la fois d’espoir et d’inquiétude. Trois semaines plus tard, on se réjouit : l’état de la patiente s’améliore et on peut même la débrancher du respirateur! Mais son état se met à nouveau à se dégrader. Le 30 avril au matin, aux soins intensifs, on estime que la fin est proche. Le protocole de visite en fin de vie pour les patients COVID vient tout juste d’être entériné, c’est le temps de le tester.

« Je lève mon chapeau au personnel soignant! Le premier médecin de garde m’a fait sentir que ma mère était une personne et non un cas. L’infirmière, Malorie [pendant les soins de fin de vie], a été une présence extraordinaire. Les infirmières ou les médecins qui me donnaient des nouvelles par téléphone, ça vaut de l’or. Je suis convaincue qu’ils ont tous donné 300 %! » — Gaëlle Vincent.


Pas d’improvisation!

Pour la Dre Catalina Sokoloff, spécialiste en soins intensifs, le plus important est de prévoir les pires scénarios pour ensuite trouver des façons de faire sécuritaires pour les patients et les équipes. Le protocole est donc clair sur les étapes à franchir, depuis l’appel au proche (le plus souvent, la personne dont le nom se trouve dans le dossier du patient) jusqu’au départ de celui-ci, après le décès.

Ainsi, en ce matin du 30 avril, le Dr Jean-François Lizé, chef de l’Unité des soins intensifs, communique avec Gaëlle Vincent. Il l’informe de l’état de sa mère et lui explique qu’un tout nouveau protocole permet la présence d’un proche – un seul – pour les soins de fin de vie des patients COVID. Le Dr Lizé vérifie ensuite, par le biais d’un questionnaire, si elle présente des symptômes d’infection au coronavirus, puis précise ce qui l’attend à son arrivée à l’étage. Elle se rend alors au chevet de sa mère, encouragée par sa sœur à qui elle exprime son inconfort à être la seule représentante de la famille.

« On essaie de rendre ce moment le plus humain possible », souligne Caroline Duchesne, conseillère en soins spécialisés en cardiologie et chirurgie cardiaque aux soins intensifs. On confie le proche et les soins de fin de vie du patient à un infirmier ou une infirmière. C’est cette dernière qui accueillera le proche et restera à ses côtés tout au long de sa visite. On s’assure, ajoute-t-elle, d’accompagner l’infirmière désignée avant, pendant et après les soins de vie. Le protocole exige en effet la présence de l’infirmière en tout temps dans la chambre du patient, ce qui peut engendrer une charge émotionnelle pour le personnel aussi.

Faire partie de la famille pour les adieux

C’est Malorie Guillaume, infirmière clinicienne aux soins intensifs, qui est désignée pour accompagner la famille Vincent. Elle a l’impression d’avoir fait partie du cercle familial : « Ils vous partagent des souvenirs, parce qu’il n’y a que vous comme interlocuteur – elle aimait ceci, elle aimait cela, elle était souriante… J’étais vraiment contente de pouvoir faire ça pour eux. » Puisqu’une seule personne est autorisée dans la chambre, on utilise une application de visioconférence pour que le moment se passe quand même en famille, ne serait-ce qu’à distance.

Prioriser l’humain

Il est important de « se protéger physiquement contre les virus et les bactéries, mais pas au coût d’une perte d’humanité », selon Gaëlle Vincent. D’après elle, le protocole développé au CHUM permet d’ajouter un peu d’humanité dans la crise sanitaire, qui, craint-elle, risque de provoquer un deuil collectif à toute la société. « Il faut une réflexion profonde, très profonde » pour trouver des façons de prioriser l’humain.

C’est avec une grande tristesse que Gaëlle Vincent parle du départ prématuré de sa mère. Sa sœur, son frère et elle ont l’impression de s’être littéralement fait voler leur mère par le coronavirus. « La mort d’un parent, dit-elle, c’est la perte d’un repère; mais [à cause de la COVID], c’est une double perte. Elle est toutefois reconnaissante à l’équipe des soins intensifs pour l’élaboration et la mise en place de cette initiative, grâce à laquelle elle a pu amorcer son deuil.

 

Écoutez le témoignage émouvant de Gaëlle Vincent