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Le CHUM en histoires

Grande entrevue – Conversation avec une femme d’exception!

Nous profitons de la Semaine des soins infirmiers qui se tient du 6 au 10 mai 2019 pour vous présenter une femme d’exception: la lauréate du Prix Florence – Excellence des soins – édition 2019. Line Beaudet est conseillère sénior en soins spécialisées et en recherche clinique au CHUM et chercheuse régulière au CRCHUM. Son histoire est riche et inspirante. Laissons-la se raconter…

Mme Beaudet, pouvez-vous décrire votre parcours ?

Je détiens un baccalauréat en sciences infirmières de l’Université Laval (1985). J’ai complété une maîtrise (1988) et un doctorat (2011) en sciences infirmières de l’Université de Montréal.

En début de carrière, je me suis établie à Montréal pour obtenir un poste à temps plein dans le domaine des neurosciences. J’ai pratiqué notamment à l’Hôpital de Montréal pour enfants, à l’Hôpital général de Montréal et à l’Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis. Au cours des années ’90, j’ai aussi occupé des fonctions en recherche, en enseignement et en supervision de stages principalement à l’Université de Montréal, mais aussi à l’Université du Québec en Outaouais et à l’Université McGill.

Depuis l’an 2000, je suis à l’emploi de la Direction des soins infirmiers du CHUM, à titre de conseillère sénior en soins spécialisés et en recherche clinique et de chercheuse régulière au CRCHUM, plus particulièrement au Carrefour de l’innovation et dans l’axe des neurosciences.

En somme, on dit de moi que j’ai un parcours atypique pour une infirmière. Moi, je le considère plutôt « enrichi » par les expériences variées et les personnes d’horizons différents que j’ai rencontrées au fil des ans.

Y a-t-il eu un événement en particulier dans votre vie qui vous a poussé à choisir les soins infirmiers? Avez-vous vécu un moment déterminant où vous avez senti que vous deviez devenir infirmière?

Au cours de mes études collégiales en sciences de la nature, j’hésitais entre plusieurs disciplines allant du génie aux sciences de la santé. Dans ma famille, j’avais beaucoup baigné dans le monde de l’enseignement. Finalement, après diverses expériences et réflexions, j’ai été davantage inspirée par deux de mes tantes qui ont eu un parcours exceptionnel, la première – Jeannot – comme infirmière, notamment en périnatalité dans le Nord du Québec et en Montérégie, et l’autre – Colette – comme intervenante communautaire. Je me destinais au génie chimique et avant de faire mon entrée universitaire, j’ai changé d’avis et rappelé à la Faculté des sciences infirmières pour y faire mon admission. La passion de mes tantes pour les approches familiale et communautaire, leur grande autonomie dans leur rôle respectif, le vaste champ de pratique des infirmières et leurs domaines de spécialités variés m’ont conquise.

Comme toute étudiante, j’ai eu des moments de doute, de remise en question et de grandes joies également. Je suis tombée en amour avec les neurosciences lors de ma première année au baccalauréat en sciences infirmières. Les personnes, jeunes ou âgées, vivant avec le Parkinson, l’épilepsie, un AVC ou la sclérose en plaques ainsi que leurs proches aidants m’interpelaient et étaient pour moi des modèles de sagesse, de débrouillardise, de créativité et de résilience.

Pourquoi avoir choisi le CHUM? Depuis combien de temps y êtes-vous?

Je suis au CHUM depuis 19 ans. Au tournant de l’an 2000, le domaine des neurosciences était en pleine effervescence au CHUM avec le retour de plusieurs neurologues suite à leur fellowship aux États-Unis ou en Europe, mais aussi avec l’essor des soins infirmiers et des services interdisciplinaires, particulièrement en troubles du mouvement et en neurovasculaire. J’occupais depuis plus de sept ans un poste d’infirmière clinicienne spécialisée dans un autre établissement. Je côtoyais mes collègues du CHUM dans des comités et des groupes de travail régionaux, ainsi que dans des activités éducatives, de recherche et de bénévolat en neurosciences. Lorsqu’un nouveau poste a été accessible dans ce domaine au CHUM, j’ai accepté de me joindre à cette équipe dynamique et de contribuer au développement des soins, des services et des pratiques interdisciplinaires tant dans le volet hospitalier qu’ambulatoire, qui demeure pour moi la voie de l’avenir à suivre pour la pérennité du système de santé publique. Déjà à cette époque, nous rêvions de télésanté et de créer des activités scientifiques personnalisées à la clientèle et aux intervenants. Cette vision et ces projets de rendre accessibles les soins et les services quaternaires de qualité à l’ensemble de la population québécoise nous animent toujours. Comme on dit chez nous : « Le CHUM, c’est moi! »

Comment avez-vous accueilli la nouvelle lorsque vous avez appris que vous étiez lauréate d’un prix Florence? Que représente pour vous cette nomination?

Lorsque j’ai appris la nouvelle du prix Florence, j’étais littéralement sous le choc, sans mot, ce qui est plutôt rare pour moi! Le président de l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec m’a souligné que ma candidature avait été soumise par la direction des soins infirmiers du CHUM, mes pairs, mes mentors, mes collègues chercheurs, des équipes médicales et interdisciplinaires ainsi que de la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal. Ils avaient concocté le tout en secret depuis l’été dernier. Personne ne s’était échappé, bien que je les côtoie quotidiennement. C’était de recevoir, tout d’un coup, une grosse dose d’affection à laquelle je ne m’attendais pas. J’avais déjà, par le passé, soumis la candidature d’autres personnes qui se sont mérité ces prix. Quelqu’un avait pensé à moi, sans que je le sache!

Durant les heures qui ont suivi, je me disais que ce n’était pas possible, que j’allais me réveiller. Après, ce fût les jours d’introspection, de bilan de carrière de 34 ans. Déjà? Pour moi, c’est comme si j’avais débuté mon parcours professionnel la veille. J’ai encore tant de projets sur la planche, en tête et avec mes collègues, les patients et les proches aidants. Ce prix – Excellence des soins – représente pour moi, une mission accomplie! Je poursuivrai mon intégration de l’excellence des soins dans la pratique, l’enseignement, le mentorat et la recherche. C’est ce qui me caractérise le mieux.

Votre prix Florence vous a été remis pour l’Excellence des soins. Cette catégorie souligne la contribution exceptionnelle d’une infirmière ou d’un infirmier à la qualité des soins par l’excellence de sa pratique. Qu’est-ce que l’excellence des soins au CHUM? Que faites-vous concrètement pour améliorer la qualité des soins?

L’excellence des soins au CHUM s’observe dans les grandes réalisations infirmières et dans leurs plus petits gestes, tels que « être présentes avec » la personne et ses proches dans les moments de maladie, de rétablissement, de début et de fin de vie. L’excellence des soins réside aussi dans les croyances des infirmières à savoir que la personne et ses proches ont la capacité de cheminer vers un mieux-être, particulièrement en présence de ressources aidantes et accessibles et de stratégies personnalisées à leur situation, leur environnement et leur contexte de vie. Écouter et comprendre ce que traversent la personne et ses proches, être attentive aux messages et aux signes subtils qu’ils transmettent afin de faciliter leurs expériences de transitions témoignent également de l’excellence des soins.

En ce qui a trait à l’amélioration continue de la qualité des soins, je mets tout d’abord mes connaissances et mes compétences au service des personnes, des proches aidants et des équipes interdisciplinaires avec lesquels je chemine. Cela passe aussi par la reconnaissance mutuelle des écarts entre la pratique que l’on observe et celle qui serait favorable à atteindre, par l’exploration des meilleures pratiques et d’un éventail possible, de même que par la mise à l’essai et l’évaluation de solutions gagnantes-gagnantes pour les patients, les proches aidants, les personnel soignant et l’organisation de santé.

De quelles façons s’insère l’innovation dans la pratique infirmière? Avez-vous des exemples concrets?

L’innovation s’insère de différentes façons dans la pratique infirmière. Parfois, l’innovation s’implante pour répondre à un besoin non comblé chez la clientèle, tel un manque de connaissances et des stratégies d’autogestion des répercussions de la maladie. Par exemple, on développe un programme de transition avec des jeunes vivant avec l’épilepsie et leur proche aidant afin de réussir le passage de l’adolescence au monde adulte ainsi que du milieu de soins pédiatrique vers le milieu de soins adulte.

D’autre fois, l’innovation s’établit pour atteindre un résultat de soins escompté, tel la réadaptation précoce suite à un problème de santé aigu. Par exemple l’instauration d’un parcours éducatif, de promotion de la santé et de l’activité physique, dans les corridors d’une unité de soins de neurosciences, destiné aux personnes suite à un AVC et à leurs proches aidants.

Vous enseignez aux futures infirmières et infirmiers à l’Université de Montréal. Quels conseils leur donnez-vous pour leur future pratique?

Avant de donner un conseil, j’explore tout d’abord la situation de la personne, son contexte, ses besoins et ses attentes. J’écoute, j’observe, je questionne, j’essaie de bien saisir de quelle pratique ou plan de carrière il s’agit. Souvent, les infirmières ou les étudiants n’ont pas besoin de conseil. En mettant en évidence leurs forces, leurs ressources, leur source de motivation et leurs préférences, ils arrivent pour la majorité à trouver leurs solutions et à les prioriser.

Lorsqu’on me demande explicitement un ou des conseils, voici ce que j’ai répondu récemment à un groupe d’infirmières et d’étudiants provenant de différents milieux de soins et académiques lors d’un symposium tenu à l’Université de Montréal en mars dernier:

  • Observez et lisez sur le sujet qui vous passionne ou vous préoccupe;
  • Demandez à rencontrer ou cherchez à rencontrer des personnes clés ou des modèles de rôle qui pourraient vous aider et vous inspirer;
  • Discutez avec ouverture d’esprit avec votre supérieur immédiat, votre directrice, votre gestionnaire, vos collègues, votre famille pour améliorer ou transformer une situation;
  • Réfléchissez à ce que vous voulez vraiment pour vous et ce qui ne vous convient pas;
  • Réalisez que vous avez été heureux/heureuse dans plusieurs cours, fonctions et emplois différents, et que ça pourrait être le cas dans le futur aussi;
  • Tentez votre chance, acceptez que vous puissiez vous tromper et réorientez le cap, au besoin;
  • Faites-vous confiance ainsi que dans les démarches constructives entreprises lors de vos études ou au travail. En prenant du recul, vous serez en mesure d’en dégager une foule d’apprentissages utiles dans diverses circonstances et contextes;
  • Faites confiance à la vie, à ce qu’elle peut vous apporter de meilleur. Elle est pleine d’imprévus et de richesses insoupçonnées à qui sait s’y attarder et les saisir;
  • Restez curieux, ouverts, flexibles face aux changements et en mode apprentissage continu.


Vous êtes aussi chercheuse au Carrefour de l’innovation et de l’évaluation en santé. Vos travaux portent principalement sur l’élaboration, l’évaluation et le transfert dans la pratique d’interventions novatrices, notamment en télésanté, conçues avec la collaboration de personnes atteintes d’une maladie neurologique, d’aidants et d’intervenants des milieux de la santé et communautaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos projets?

Mes projets de télésanté actuels sont orientés vers les aînés vivant avec la maladie de Parkinson, les jeunes vivant avec l’épilepsie et leur proche aidant. Avec des co-chercheurs, des cliniciens et des collaborateurs technologiques, nous avons développé et évalué deux interventions web novatrices étant destinées à ces clientèles. Les interventions se présentent sous forme de capsules vidéo d’une durée de 15 à 30 minutes avec des thèmes différents en réponse aux besoins exprimés par la clientèle ciblée. Ces sessions en ligne mettent en scène une infirmière, des patients et des proches aidants virtuels qui agissent comme modèles de rôles inspirants. L’infirmière offre un enseignement personnalisé et présente des situations que d’autres personnes ont résolu avec succès. Elle transmet des rétroactions et des renforcements positifs sur la démarche réalisée, les apprentissages faits et les habiletés acquises par la dyade. À partir de la plateforme web, les participants peuvent télécharger des documents et les partager avec leur entourage et leur équipe soignante.

Les interventions web ou de télésanté offrent toute une gamme de possibilités pour faciliter l’accès à des soins en tout temps et en tout lieu auprès d’un plus vaste public. Elles permettent, entre autres, de faire un suivi à distance, de faire de la consultation et de l’assistance en ligne, de diffuser de l’enseignement et du soutien, de simuler des situations en réalité virtuelle avec une visée thérapeutique ou de formation. Ces interventions de télésanté réduisent également les déplacements, le stress, les coûts et l’empreinte écologique associés au transport. Enfin, elles constituent un service additionnel et complémentaire intégré dans la trajectoire de soins visant à en accroître l’offre et la qualité.